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La pratique du breton de l'Ancien Régime à nos jours

 

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À propos de la prédication en breton :

une campagne de presse en 1902

 

La circulaire Combes : les critiques de l'opposition catholique

 

Émile Combes, président du Conseil, signe le 29 septembre 1902 une circulaire exigeant des ecclésiastiques bretons concordataires qu'ils assurent désormais la prédication et le catéchisme « dans notre langue nationale ». Il se prononce en même temps pour la coercition à l'égard de ceux d'entre eux qui se montreraient coupables d'« usage abusif du breton ». La presse s'en mêle aussitôt. À droite, l'on dénonce la politique anti-bretonne et donc antireligieuse du ministère Combes. À gauche, on la défend surtout parce qu'elle est anticléricale. Certains organes de presse n'hésiteront pas à afficher des positions pour le moins catégoriques à l'égard de la langue bretonne et de la Bretagne[1].

 

Les journaux d'opposition, surtout s'ils sont d'inspiration catholique, ne peuvent que critiquer les décisions du gouvernement Combes de suspendre le traitement d'un certain nombre d'ecclésiastiques. Sous le titre : « Parler breton n'est plus permis », un article de « La Croix » de 1903, signé « Le Parisien », utilise des métaphores appropriées pour apitoyer ses lecteurs et les inciter à la solidarité :

 

  • « une langue, un cœur, un peuple : ils sont quatre-vingts prêtres qui souffrent la faim pour ces trois choses, là-bas, au pays d'Arvor, en cette Pologne française où les rafales et les tempêtes de la persécution, bien pires que les ouragans qui viennent du grand large, battre la côte, sévissent avec une fureur inouïe (…) C'est à cette vieille foi catholique que l'on en veut !… C'est en haine de la croix qu'on poursuit la langue bretonne[2]… » 

« La Croix » ne veut pas se méprendre sur les motivations gouvernementales : la langue bretonne n'est visée que parce que c'est le clergé que l'on attaque. Le quotidien formule toujours ses comparaisons en des termes auxquels ses lecteurs ne peuvent qu'être sensibles : « Bismarck ne traita pas autrement l'Alsace-Lorraine », écrivait-il après les premières suspensions de traitement, le 17 janvier 1903.

 

Les articles de « La Vérité française » sont de tonalité différente, laissant planer la menace d'une proscription générale à l'égard de tous les parlers locaux : « La République maçonnique ne sait plus qu'inventer… Bientôt, s'il y a lieu, le gouvernement interdira tous les dialectes, tous les patois de France[3]… » Pour « L'Autorité », Combes est un « impudent renégat », et sa circulaire est « misérablement bête (…) Il allait donc s'occuper des Bretons qui veulent bretonner malgré lui[4]… »

 

D'autres journaux préfèrent dénoncer l'absurdité de la décision du président du Conseil. « Le Figaro », par exemple, ne trouve rien de mieux que de lui présenter une suggestion abracadabrante :

 

  • « pourquoi M. Combes ne donne-t-il pas tout de suite cet ordre (de ne plus prêcher dans la langue locale) aux prédicateurs parisiens ? Ils auraient à choisir entre le breton, le provençal et le chinois ; de telle sorte qu'ils ne propageraient pas l'Évangile dangereusement[5] ».

C'était admettre, ne serait-ce qu'indirectement, que le breton était langue d'usage en Basse-Bretagne.

 

Les étonnements de la presse républicaine

 

La presse républicaine n'a pas les mêmes états d'âme. « Le Siècle » s'étonne : « que plus d'un siècle après la Révolution, la question des langues puisse faire l'objet d'un débat à la Chambre, voilà ce qu'il y a de prodigieux[6]… » Mais la remontée dans le temps peut être encore plus importante : dans une tribune libre insérée dans « Le Signal », un certain H. Draussin fait état de l'enquête ordonnée par l'Évêque de Quimper, Mgr Dubillard, pour dénombrer les petits bretonnants :

 

  • « d'où il appert qu'en une des plus anciennes provinces françaises, cinq siècles après sa réunion à l'organisme national, la langue officielle, celle de la mère patrie, est, pour un grand nombre de ses habitants, une langue étrangère et inconnue. Voilà certes une grave révélation ou une grave constatation[7]… » 

Cette découverte ébahissante conforte le polémiste dans l'idée qu'il se faisait de la Bretagne :

 

  • « on se doutait bien que ce qui rend les Bretons si réfractaires au progrès, si peu accessibles aux idées libérales, c'est une sorte de muraille chinoise élevée entre leur mentalité et le mouvement des esprits dans le reste du monde. Ils n'en peuvent savoir que ce que leur apprennent les hommes qui ont leur confiance, leurs prêtres ou recteurs… »

Les Bretons sont donc des conservateurs, et s'ils le sont, c'est parce qu'ils persistent à parler une langue qui les isole et les laisse à l'écart des grands débats qui agitent la planète. 

 

Draussin établit une liaison directe entre une langue particulière — en l'occurrence le breton — et les opinions politiques globalement attribuées à ceux qui la parlent. Il postule aussi une relation de cause à effet entre le fait, pour une population, de pratiquer une langue et son niveau d'instruction : « il n'est pas admissible qu'une région soit séparée de ce qui constitue la vie nationale par une barrière d'ignorance… » Le journaliste multiplie les métaphores : séparer, barrière, muraille, qui assimilent la langue à un obstacle infranchissable, utilisant, sans doute à son insu, la même expression que Pitre-Chevalier soixante ans plus tôt pour qualifier la limite séparant la Basse-Bretagne de la Haute : « cette ligne est à peu près la muraille chinoise de l'idiome breton[8] ».

 

Pour renverser cette muraille, le journaliste du « Signal » préconise les méthodes expéditives. Il s'en défend : « est-ce à dire que nous demandions l'interdiction absolue d'un dialecte ? » Il concède aussi, pour le principe : « chacun de ces dialectes a sa raison d'être ». Il est bien conscient qu'un changement de langue demande du temps : « Bonaparte mandait à je ne sais quel évêque l'ordre de “changer l'esprit de son diocèse”. Changer la langue des diocésains nous semble une mesure plus légitime ou plus nécessaire, mais moins aisée ».

 

Mais H. Draussin se déclare partisan de la contrainte : si les Bretons ne connaissent pas le français,

 

  • « cela prouverait que les écoles, dans ces communes, ne valent rien, et que les directeurs sont à réformer, ou qu'on y parle le dialecte du cru, et il faut tout remplacer, personnel, méthodes, manuels (…) Tout Français doit connaître et parler la langue de France. Puisqu'il y a des Bretons qui n'en sont pas encore capables, le devoir est de la leur enseigner et de les contraindre à l'apprendre… » 

 

La Lanterne : un journal anticlérical et farouchement anti-breton

 

Cette politique linguistique et scolaire radicale, que devrait suivre la France en Bretagne, est aussi celle que réclame encore plus vivement le journal « La Lanterne[9] ». Ce périodique, farouchement anticlérical, nationaliste, populiste, va se révéler aussi fermement anti-breton. De 1902 à 1905, il consacre régulièrement des billets anonymes à la question de l'emploi abusif du breton dans les églises. Et il s'exprime vertement : « il est nécessaire d'empêcher les ratichons de déblatérer en patois. Mais il ne serait pas inutile de surveiller avec soin les sottises que l'on imprime à l'usage des pauvres cagots bretons[10] ». L'utilisation de l'argot donne assurément un style à ces billets. D'autant qu'à la rudesse du propos, correspond le caractère péremptoire du diagnostic. 

 

Lorsqu'interviennent les premières suspensions de traitement pour « usage abusif du breton », le journal admet, comme le fera le Président du Conseil lui-même, qu'il ne demande pas la suppression de la langue bretonne. Avec des réserves cependant :

 

  • « il ne saurait être question de proscrire le dialecte breton, mais c'est à la condition que les Bretons comprennent et parlent en même temps la langue nationale (…) Le catéchisme cela peut s'apprendre en breton. Mais la grammaire française ne s'apprend pas en breton sans doute ? Et l'histoire ? Existe-t-il des livres d'histoire en breton ? Y a-t-il des traités de géométrie ou de physique en breton ? Évidemment non[11]… » 

« La Lanterne » identifie bien entendu le breton à une langue de réaction : « les prêches en patois, la langue nationale proscrite et remplacée par un idiome barbare, tels sont les moyens employés jusqu'ici pour entretenir dans les têtes bretonnes la superstition religieuse et en chasser les idées de Liberté[12] ».  L'utilisation du breton par le clergé a un pouvoir magique :

 

  • « ce que les prêtres défendent dans le breton, c'est leur prestige de sorciers, avec les avantages qu'il comporte : respect superstitieux d'une religion grossière, dons en argent et en nature, influence électorale du curé sur ses paroissiens, puissance morale de l'Église et bien-être matériel de ses prêtres[13] ».

Lorsque les conseillers généraux des Côtes-du-Nord adoptent un vœu de protestation contre la décision d'Émile Combes d'interdire le breton à l'église, le journal les accuse de vouloir proscrire le français : « ainsi non seulement les calotins de Bretagne se refusent obstinément à reconnaître que nous sommes en République, mais ils affectent encore de croire qu'ils doivent se différencier du reste des Français et protestent contre l'emploi de la langue nationale[14] ».

 

Quand les onze maires du canton de Plabennec signent collectivement une lettre ouverte au Préfet du Finistère, « La Lanterne » exprime sa stupéfaction : « ils voient dans la mesure ministérielle une atteinte à leur droit d'être fanatisés en patois breton (…) Il est inouï que l'on doive au XXe siècle prescrire l'emploi de la langue française sur le territoire français[15] (…) ».

 

La solution de « La Lanterne » est radicale et ne s'embarrasse pas de nuances :

 

  • « une cure vaut bien un sermon, fût-il en charabia ! Quoi que décident les ratichons, ces scandaleux sermons doivent cesser ; les ensoutanés qui ne voudront pas être cassés aux gages se résigneront à parler la langue française à des paroissiens qui, bien que cagots bretons, sont pourtant citoyens français[16] ».
  • « Que les orateurs ensoutanés prêchent en français ou qu'ils se taisent, les cagots apprendront le français pour les entendre ou seront privés de leurs calembredaines[17] ».
  • « Il faut que la raison ait le dessus sur la sottise cléricale, même exprimée en breton de sacristie[18] ».

Tous les protagonistes du conflit sur l'utilisation du breton à l'église sont pris à partie dans le journal : le clergé, la population bretonnante, mais aussi le gouvernement, accusé de ne pas savoir y faire :

 

  • « s'il faut des mesures énergiques, qu'on les emploie sans hésiter. La comédie a assez duré[19] ».  

 

  • « Peut-être le gouvernement finira-t-il par se lasser d'envoyer d'inutiles circulaires et en arrivera-t-il à proposer contre les prêtres rebelles de rigoureuses mesures. Mais pourquoi tant tarder[20] ? ».

 

  • « La Bretagne cléricale prétend se mettre au-dessus des lois et braver la France républicaine. Existe-t-il dans l'administration un préfet à poigne, capable de mater des brutes fanatisées par les prêtres ? Existe-t-il dans la magistrature quelques hommes résolus, républicains sûrs, capables d'assumer la tâche d'appliquer avec sévérité les lois républicaines ? Le gouvernement a-t-il à sa disposition quelques commissaires de police courageux ? (…) Si rares que soient les préfets, les magistrats, les fonctionnaires républicains, il doit s'en trouver assez pour entreprendre la colonisation de la Bretagne (…) La révolte a assez duré. Il y va de l'honneur et de la sécurité de la République. Les cléricaux bretons nous provoquent. Tapons dessus, de toute la rigueur des lois, de tous les poings des gendarmes. Les Bretons n'ont rien compris à la grandeur des idées républicaines ; qu'on leur fasse voir à leurs dépens que la République est du moins assez forte pour se faire respecter[21] ».

 

Le préfet du Finistère, cible de La Lanterne

 

Lorsque Étienne Lamy, député du Morbihan, envisage d'interpeller le gouvernement à la Chambre à propos de la circulaire Combes, il est présenté comme « le porte-parole des Bretons bretonnants », et son initiative comme « une singulière extravagance[22] ». « Qu'un ministre soit, au XXe siècle, obligé de donner à des prêtres, qui sont des fonctionnaires, l'ordre de parler français, c'est déjà triste. Mais que ce ministre soit interpellé dans une Chambre française pour avoir donné cet ordre, c'est plus triste encore[23]… ». 

 

Les représentants locaux du pouvoir central sont critiqués, lorsqu'ils donnent l'impression de n'être pas assez fermes :

 

  • « ce qui est étrange, c'est que le représentant direct de la République dans le Finistère, le préfet Collignon[24], est avec les chouans contre les républicains, avec les baragouineurs contre les amis de l'école primaire, avec les Bretons séparatistes contre les Bretons français. Le même homme qui montra contre les ouvriers de Brest une sévérité implacable et engagea contre la municipalité socialiste de cette ville la lutte la plus déloyale et la plus acharnée, pactise ouvertement avec les tristes bateleurs qui s'intitulent eux-mêmes bardes, et avec les prêtres démagogues qui, les uns et les autres, ne tiennent tant à la langue bretonne que parce qu'elle leur sert à médire plus librement de la République et de la France. Nous dénonçons cette attitude insolente à qui de droit[25] ».

Pour avoir appliqué la loi « avec une mollesse voisine de la capitulation[26] », H. Collignon devient alors la cible d'une campagne de « La Lanterne ». Encore igorait-il sans doute que le préfet du Finistère avait entrepris d'étudier le breton. 

 

  • « le préfet réactionnaire du Finistère continue à se prêter à la campagne antifrançaise et antirépublicaine que les hobereaux mènent en Bretagne[27]… ».

 

  • « Il se croit déjà, le régionalisme cher à son cœur ayant triomphé, le maître d'une Bretagne indépendante (…) Il n'est pas seulement un fonctionnaire indiscipliné qui nargue ses chefs, c'est un homme dangereux qui trahit les intérêts de la République en même temps que ceux de la France. Sa révocation s'impose. Nous la réclamons énergiquement[28] ».

 

  • « Est-il possible, si l'on frappe dans le département des Côtes-du-Nord, un curé qui s'obstinait à ne parler à ses ouailles qu'en breton, que l'on tolère, dans le département voisin, un préfet qui soutient et encourage le mouvement régionaliste dont on connaît les véritables tendances ? Le gouvernement prive le curé de Ploudaniel de son traitement, c'est bien ; mais pour les mêmes motifs, il doit révoquer M. Collignon[29] ».

 

Pour le billettiste, l'issue du débat ne fait pas de doute : « la réaction disputera une fois de plus à la République la terre traditionnelle du fanatisme ; elle sera battue ». « La Lanterne » ironise sur « les Bretons patoisants ». Les propos racistes affleurent : « toute la sale émeute de Ploudaniel est là (…) Il n'y a pas de reculade possible (…) Tant mieux si la calotte y perd le dernier coin de terre qui lui reste absurdement fidèle[30] ».

 

En 1905, trois ans après les premières péripéties, le conflit entre le clergé breton et le gouvernement n'est pas encore terminé : « on se bat en Bretagne entre régionalistes et républicains, ceux-là chantant en langue celtique, ceux-ci entonnant la Marseillaise, le Chant du Départ ou l'Internationale[31]… »  : chanter en langue celtique et chanter la Marseillaise sont donc antinomiques. Ce que confirme aussitôt le chroniqueur : « les chouans se sont réunis en un congrès soi-disant régionaliste, mais en réalité antirépublicain ». 

 

Il veut bien admettre le charme des traditions, mais interdit que l'on aille au-delà :

 

  • « Encore une fois aucun doute n'est permis. S'il ne s'agissait que de déférence pour des us et coutumes respectables, et d'ailleurs pittoresques, tous les Bretons seraient d'accord, car tous ils aiment leur pays dont le charme est si pénétrant. Mais la politique est au fond de l'affaire, et ce qu'on veut, c'est, en exaltant jusqu'à la déraison les sentiments traditionalistes du peuple breton, l'éloigner de la République et de la France. Il ne faut pas s'y tromper, c'est un mouvement antidémocratique et antifrançais qui se dessine là-bas. Est-il dangereux ? Non certes, mais à tout le moins il est scandaleux[32] ».

 

Ce que l'on peut parfaitement admettre dans d'autres régions de France ne peut être toléré en Bretagne :

 

  • « en d'autres parties de la France, le régionalisme s'est affirmé. Mais il était évident qu'il ne s'agissait que de manifestations littéraires qui risquaient seulement d'enrichir l'art français (…) En Bretagne, c'est autre chose : nous sommes en présence d'une entreprise de basse démagogie : il s'agit de “fermer” les Bretons à la culture française, et par conséquent aux idées de progrès et de démocratie, en les maintenant dans une ignorance à peu près complète de la langue nationale[33] ».  

Comment résumer la prose de La Lanterne ?

 

Il n'est pas trop difficile d'inventorier les qualificatifs dont le quotidien abreuve les Bretons et leur langue :

 

  • Clergé : calembredaines, calotte, orateurs ensoutanés, prêtres démagogues, ratichons, rebelles, sottise cléricale, superstition religieuse

 

  • Bretons : antifrançais, hostiles au progrès, antidémocratiques, chouans, antirépublicains, déraison, hobereaux, tristes bateleurs, pauvres cagots, fanatiques, sale émeute, brutes fanatisées, bons à coloniser

 

  • Bretagne : charme pénétrant, petite patrie, pittoresque, us et coutumes

 

  • Langue : baragouineurs, Bretons patoisants, idiome barbare, patois, déblatérer, breton de sacristie, sottises imprimées, prêches en patois, langue de sorciers, pas de livres de géométrie, charabia.

Les qualificatifs attribués au clergé ne concernent pas directement notre propos. Ceux qui sont accolés à la Bretagne ne sont pas négatifs, mais réducteurs : pour « La Lanterne », la Bretagne ne peut exister que si elle est et reste pittoresque. Les Bretons eux-mêmes sont présentés avec mépris comme une race d'émeutiers. Explicitement, ils apparaissent comme hostiles, et même comme tout à fait étrangers à la France, à la République et au progrès — ces trois termes étant sans doute synonymes. Considérant la Bretagne comme un pays de brutes et de fanatiques, « La Lanterne », au paroxysme de sa hargne antibretonne, en arrive logiquement à proposer des méthodes musclées pour lui faire entendre raison, et pour cela il est temps d'engager un véritable processus de colonisation.

 

Quant à la langue bretonne elle-même, son existence apparaît une incongruité parfaite sur le territoire national. Ce n'est d'ailleurs par une langue, à peine un idiome barbare : c'est un patois, un baragouin, un charabia…, qui ne peut que véhiculer des sottises et des formules magiques ou hostiles. « La Lanterne » collectionne tout le vocabulaire dévalorisant disponible pour l'appliquer au cas du breton. Si les langues pouvaient être fusillées, « La Lanterne » l'aurait bien proposé.

 

Tant de simplismes et d'outrances sont révélateurs de la réalité de sentiments et de tendances. Si l'on se rappelle que le journal lui-même ne considère pas le mouvement de défense de la langue bretonne comme foncièrement dangereux, on ne peut s'empêcher de penser que beaucoup de haine a été exprimée pour peu de chose. Mais ce mouvement est, en soi, « scandaleux », et c'est pourquoi « La Lanterne » s'est déchaînée…

 

D'autres journaux ont préféré adopter le ton de l'ironie. Apprenant qu'un Congrès Panceltique venait de se tenir à Dublin, H. Harduin écrit dans « Le Matin » :

 

  • «  j'ignorais — vous aussi sans doute — l'existence d'une nation celtique, et je me demande ce qui va arriver si on ne tient pas compte de sa protestation. Il n'est pas drôle pour la France de se trouver ainsi inopinément en face d'une nation qui a des droits et entend les faire respecter… Et voilà qu'une nation surgit, à laquelle on ne pensait pas, et qui menace de tout bouleverser… Nous sommes dans de jolis draps, ayant à tenir tête à l'étranger à l'est et devant, si nous devons en outre, surveiller nos frontières à l'ouest, du côté de la Bretagne qui s'appuie sur l'Irlande. Environnés d'ennemis, pris entre deux feux, je ne sais pas comment nous pourrons nous tirer d'affaire[1] ».

La commisération était-elle préférable à l'invective ? Le mouvement breton avait encore beaucoup à faire pour assurer sa crédibilité.

 

Notes

[1] Notre intention n'est pas d'analyser ici tous les articles de presse relatifs aux suspensions de traitement intervenues pour « usage abusif du breton » entre 1902 et 1905. Nous nous appuierons essentiellement sur les coupures conservées aux Archives nationales, dans les dossiers F 19 5502 et 5503, « emploi des dialectes dans l'enseignement religieux », et qui ont été découpées dans la presse parisienne.

[2] 1er et 2 novembre 1903

[3] 4 octobre 1902

[4] 18 janvier 1903

[5] 18 avril 1904

[6] 17 janvier 1903

[7] 6 septembre 1902

[8] Cité par : Yves LE GALLO, Bretagne. [Grenoble] : Arthaud, 1969, p. 11.

La citation est extraite de :

P.M.F. PITRE-CHEVALIER. La Bretagne ancienne et moderne. Paris, 1845.

[9] Le titre La Lanterne avait déjà existé sous la Révolution et en 1848. H. de Rochefort le relance en 1868, sous la forme d'une publication satirique hebdomadaire. Plusieurs numéros font l'objet de saisie, en raison des pamphlets qu'il publie contre le gouvernement de Napoléon III. En 1877, La Lanterne devient quotidien. Dirigé tour à tour par A. Briand, Millerand et Viviani, il est alors radical-socialiste. Il cessera sa parution en 1928.

Grand dictionnaire encyclopédique Larousse. Paris : Larousse, 1984, p. 6132.

[10] 10 juin 1903

[11] 3 novembre 1902

[12] 25 octobre 1902

[13] 18 janvier 1903

[14] 8 janvier 1903

[15] 31 octobre 1902

[16] 10 octobre 1902

[17] 8 janvier 1903

[18] 31 octobre 1902

[19] 8 janvier 1903

[20] 11 avril 1903

[21] 12 novembre 1902. Cet article ne figure pas dans la liasse conservée aux Archives nationales, mais est cité dans : Yves LE GALLO. La Bretagne bretonnante. Basse-Bretagne et Bas-Bretons (1870-1918). In : Histoire littéraire…, op. cit., p. 17-18.

Historique de la circulaire Combes (29 septembre 1902) portant interdiction de la langue bretonne dans les églises de Basse-Bretagne. BULLETIN DE L'UNION RÉGIONALISTE BRETONNE, 1903, p. 134-135. Le même Bulletin publie, p. 131-144, différents articles de presse de l'époque extraits notamment de « journaux antipatriotes ».

[22] 29 novembre 1902

[23] 18 janvier 1903

[24] COLLIGNON (Henri), avocat et haut fonctionnaire (1857-1915). Né à Cauderan, en Gironde, il est chef de cabinet au Ministère de l'Intérieur en 1881, puis entre dans la carrière préfectorale deux ans plus tard. Il sera Préfet du Finistère de 1899 à 1906. En 1914, il s'engage, à 58 ans, comme soldat de 1re classe, au 46e Régiment d'Infanterie, et refuse les galons d'officier. Le 15 mars 1915, il est tué au cours d'un bombardement en se portant au secours d'un agent de liaison écrasé sous les débris d'une batteuse. Henri Collignon fut surnommé le « La Tour d'Auvergne de la IIIe République ». Il avait été vénérable de la loge « Alsace-Lorraine » à compter du 11 décembre 1913, et c'est pourquoi les attaques de « La Lanterne » contre ce franc-maçon paraissent stupéfiantes.

Roman d'AMAT. Dictionnaire de biographie française. Paris : Letouzey et Ané, 1961, tome 9, p. 279.

 

[25] 14 septembre 1905

[26] 29 novembre 1902

[27] 20 septembre 1905

[28] 20 octobre 1905

[29] 8 octobre 1905. Le pamphlétaire n'a cure de situer Ploudaniel dans les Côtes-du-Nord !

[30] 28 novembre 1902

[31] 14 septembre 1905

[32] 14 septembre 1905

[33] 20 septembre 1905

[34] 13 novembre 1902

 

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