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La pratique du breton de l'Ancien Régime à nos jours

 

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La thèse de Fañch Broudic en accès libre

 

Les faits. Première partie
  • Présentation
  • Les limites de la langue bretonne
  • À la fin du XVIIIe siècle
  • Les enquêtes de Coquebert de Monbret
  • L'enquête de 1831
  • Le dictionnaire d'Ogée
  • Le questionnaire de Gaultier du Mottay
  • L'enquête Duruy de 1864
  • Les approximations de P. Sébillot
  • Les procédures judiciaires au XIXe siècle
  • L'usage abusif du breton en 1902
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Sous l'Empire : les enquêtes de Coquebert de Monbret

 Les limites délimitatives

 

Charles Coquebert de Monbret, sous le Premier Empire, puis sous la Restauration, n'a pas seulement tenté de reporter sur une grande carte « les lignes délimitatives » qui séparaient alors le français des autres langues parlées sur le territoire. Il est aussi le premier à avoir calculé le nombre de personnes parlant l'une ou l'autre de ces langues, et il en fait état, en particulier, dans l'« Essai d'un travail sur la géographie de la langue française » qu'il fait paraître en 1831 sous les auspices de l'Académie Celtique et de la Société Royale des Antiquaires de France[1].

 

En fait, l'objectif de Coquebert est d'indiquer « les limites dans lesquelles se renferme la langue française », et d'« énumérer les Français (…) homoglottes ». Ce n'est que pour parvenir à ce résultat qu'il s'intéresse aussi aux autres langues parlées sur le territoire national. Et à cet égard, Coquebert ne confond pas unité politique et diversité linguistique : « les limites politiques[2] de la France comprennent les hommes qui parlent breton, une partie de ceux qui parlent basque, une partie de ceux qui parlent allemand, et une partie de ceux qui parlent flamand (…) ».

 

Est-ce parce que le fait lui paraît aller de soi, ou parce que l'unification de la France allait impliquer la résorption des parlers autres que le français ? N'oublions pas que Coquebert travaillait en 1806 à la direction de la statistique au Ministère de l'Intérieur. Il semble bien toutefois que la première hypothèse soit la bonne. La première phrase de l'« Essai d'un travail… » définit en effet « la géographie des langues (comme) cette partie si intéressante de la science géographique… » Et l'auteur précise un peu plus loin sa pensée, en soulignant qu'après les différences physiques, les différences d'idiomes sont les plus importantes de toutes :

 

« moins stables, sans doute que les divisions physiques, elles le sont beaucoup plus que les divisions politiques et administratives. Des siècles suffisent à peine pour changer la langue d'un pays ; il ne faut au contraire qu'une guerre, un traité de paix, d'échange ou de vente, pour donner à une province de nouveaux maîtres ».

 

Notre auteur ne conçoit donc pas qu'un changement de langue puisse intervenir rapidement dans un pays…

 

La population de langue bretonne

 

Coquebert de Monbret a procédé à deux reprises à l'évaluation du nombre de francophones et, entre autres, du nombre de bretonnants : une première fois en 1806, une seconde fois en 1830. Nous ne connaissons aucune publication relative à la première évaluation. Mais il y fait allusion dans son essai dans les termes suivants :

 

« Quant à la population de langue bretonne, elle était en 1806, dans les parties de la Bretagne où elle est usage, de 995  558, sur une population totale de 1  385  936 qu'on comptait dans les trois départements de la Basse-Bretagne ; c'était un peu plus des 7/10es de leur population totale.

Ces mêmes départements ayant en 1830 : 1  501  247 habitans, savoir

  • Le Finistère : 702  851
  • Les Côtes-du-Nord : 370  943
  • Et le Morbihan : 427  453

la partie bretonne de cette population doit être d'environ 1  050  000 âmes ».

 

Coquebert fait cependant allusion, dans le même essai, à un « Relevé général de la population de l'empire (français) selon les différentes langues que parlent ses habitans, énoncé en nombres ronds et sans y comprendre les militaires », qui fut publié en 1809 et au cours des années suivantes dans l'« Annuaire des Longitudes ». Il précisait que ce relevé se composait « de six articles seulement, et c'était à ce degré de brièveté que l'on avait réduit un travail qui avait exigé des recherches fort considérables ». L'article concernant la langue bretonne faisait état d'un chiffre de 967  000 personnes.

 

Comment Coquebert procède-t-il à la première évaluation ? Il reçoit de toute la France l'indication des communes « où d'autres idiomes que le français formaient la langue maternelle. En prenant la population indiquée à la même époque pour chacune de ces communes, nous étions parvenus, écrit-il, à connaître combien de territoires français d'alors renfermai[en]t d'habitans de chacune des langues qui y étaient parlées ».

 

Quelques villages de Guérande

 

En 1830, Coquebert est à la retraite - il mourra l'année suivante, avant d'avoir terminé le grand ouvrage qu'il préparait sur la géographie et la statistique des divers États d'Europe[3]. Il recalcule tout simplement les données qu'il avait recueillies la première fois « en comparant la population actuelle des départements du royaume avec celle qu'ils avaient à l'époque de 1806 ». Et c'est ainsi qu'il aboutit aux résultats dont nous avons déjà fait état pour l'année 1830, dont il considère lui-même qu'ils sont « approximatifs ». 

 

On ne peut mieux dire que le chiffre de 1830 (publié l'année suivante) n'est qu'une déduction par rapport à celui de 1806, qui avait, lui, donné lieu à une recherche spécifique. De fait, Coquebert avait alors, sous le couvert du ministère de l'Intérieur, sollicité des correspondants à travers la France entière, pour obtenir d'eux des renseignements sur les langues, dialectes et patois en usage[4] : ainsi qu'il l'écrit, le 30 septembre 1808 au préfet du Morbihan, ce sont des informations qu'il fait « recueillir sur les divers idiomes qui sont d'un usage vulgaire dans chaque département ». Coquebert sollicitait de ses correspondants des imprimés, des textes de chansons et des traductions de la parabole de l'Enfant prodigue de l'Évangile, et c'est ainsi que J.-F. Le Gonidec lui en fit parvenir une version[5]. Ce fut, incontestablement, un travail de longue haleine, puisque les correspondances concernant la Bretagne, par exemple, s'étendent de 1806 à 1809. 

 

On trouve aussi, dans la correspondance bretonne, une version de la chanson bien connue « an hini goz ». Le préfet du Morbihan, Julien, dans une lettre du 17 septembre 1808, écrivait pourtant ceci, qui intéressera les ethnologues :

 

« je ne connais point de chansons populaires soit en langue bretonne, soit en langue galloise, mais il y a des cantiques qui sont plus du goût de la Nation (…) On chante cependant un chant dans toute la campagne, mais c'est un chant sans paroles (sic), ou avec des paroles sans suite. Il peut se faire néanmoins qu'il y ait quelques ouvrages de poésies dans cette langue (…) ».

 

Assez peu de choses ont été conservées de la correspondance originale, concernant la langue bretonne. Les notations concernant son usage ne sont donc pas très fournies. Elles ne proviennent pas que de Basse-Bretagne, puisque le Sous-Préfet de Monfort, en Ille-et-Vilaine, écrit, en termes négatifs, le 18 juillet 1809, au ministre de l'Intérieur que

« la langue bretonne n'est point en usage dans cet arrondissement ni dans ceux voisins au Morbihan et aux Côtes-du-Nord. Le voisinage de Rennes qui a été sous la puissance des Romains, doit avoir contribué à faire disparaître de bonne heure l'ancien langage, qui s'est conservé dans les forêts méridionales et occidentales (…) ».

 

En ce qui concerne la Loire-Inférieure, le préfet se contente de rappeler « les notions données par la statistique de ce département, publiée en l'an 11 » et rapporte donc que

« dans les environs de Guérande, on remarque quelques villages où l'on parle également le français et le celtique vannetais : l'usage de ces deux langues leur est nécessaire pour la troque pour le commerce d'échange qu'ils font avec les départements au-delà de la Vilaine où ils portent du sel et dont ils tirent les grains qu'ils consomment[6]  ».

 

Monsieur le Préfet n'a sans doute pas jugé ce développement suffisant, puisqu'il ajoute un bref commentaire :

« quant à la langue celtique ou bas-breton, il n'est en usage que comme moyen de communication avec les habitants des autres départements de la Bretagne. Cette langue entièrement étrangère au français est connue et fixée par des dictionnaires, des grammaires et un grand nombre d'ouvrages imprimés[7] ».

 

Le breton dans les campagnes, le français en ville

 

Dans les notes de synthèse conservées à la Bibliothèque Municipale de Rouen[8], Coquebert de Monbret donne quelques précisions en ce qui concerne les départements bas bretons :

  • dans les Côtes-du-Nord, « on parle breton dans les arrondissements de Guingamp et Lannion ; dans la partie occidentale de celui de St-Brieuc et dans quelques endroits de celui de Loudéac ». La note est rédigée d'après l'Annuaire de l'an XIII.
  • en ce qui concerne le Morbihan, « les 2/3 du département sont bretons. Il y a peu de communes bretonnes où on parle en même temps français. Ce sont celles qui se rapprochent le plus de la ligne de démarcation ».
  • pour le département du Finistère : « dans toutes les communes du département, on parle les deux langues ; mais le français domine dans les villes, et le breton dans les campagnes » (d'après une correspondance de M. Derrien, conseiller de préfecture en 1806).

Quelles conclusions tirer de l'ensemble de ces observations, publiées ou manuscrites ? Il semble bien qu'au début du XIXe siècle, la langue exclusive de la Basse-Bretagne soit le breton, puisqu'il n'est pas de commune, dans le Morbihan, par exemple, où les deux langues soient en usage. Selon un conseiller de préfecture, on parle le breton même dans les villes, par conséquent à Brest et Quimper. Mais si, d'après le même conseiller, c'est le français qui domine en ville, dans les campagnes on ne parle que le breton.

 

Coquebert de Monbret considère que les 7/10 de la population des trois départements bas bretons parlent la langue bretonne. C'est donc qu'il en a soustrait la population gallèse des Côtes-du-Nord et du Morbihan.

 

Notes

[1] Charles COQUEBERT DE MONBRET. Essai d'un travail sur la géographie de la langue française. In : Mélanges sur les langues, dialectes et patois. Paris : Bureau de l'Almanach du Commerce, chez Delaunay, 1831, p. 1-29. La Société Royale des Antiquaires de France a succédé à l'Académie Celtique.

[2] C'est nous qui soulignons. Les noms de langues sont soulignés par Coquebert.

[3] Dictionnaire de Biographie française / sous la direction de Roman d'Amat, Paris : Lib. Letouzey, 1961, tome IX, p. 567.

 

[4] Cette correspondance est conservée. D'une part à la Bibliothèque nationale, sous les références suivantes : Patois de la France. 2 vol., 388 feuillets. Département des Manuscrits, Fonds FR Nouv. Acqu., n° 5910 et 5911.

D'autre part aux Archives nationales, sous la référence : F 17 1209 - 2. Secrétariat. Renseignements sur les dialectes et patois de France. Côtes-du-Nord et Finistère.

Ce qui, de l'enquête Coquebert de Monbret, concerne la Bretagne a été conservé dans les deux institutions. A la Bibliothèque nationale, se trouve la correspondance concernant le Morbihan, la Loire-Inférieure et l'Ille-et-Vilaine. Aux Archives nationales, se trouve la correspondance concernant le Finistère, les Côtes-du-Nord et également l'Ille-et-Vilaine.

 

[5] Le texte en figure dans les "Mélanges sur les langues, dialectes et patois…", ouvrage cité, p. 89 sq. La parabole de l'Enfant prodigue est présentée "en langue

Brezounecq, dite vulgairement Bas-Breton", et, en colonnes parallèles, en gallois, gaélique d'Irlande, de Man et d'Ecosse, ainsi qu'en anglais et en basque. Cette présentation avait pour objet, selon Coquebert, de convaincre les personnes qui ne voyaient dans le basque et le bas-breton que de simples patois et de "leur prouver jusqu'à l'évidence jusqu'à la fausseté de (leur) opinion", de leur démontrer aussi que le basque n'est pas une langue celtique.

Coquebert publie donc des versions de la parabole dans les diverses langues celtiques, mais il n'en retranscrit qu'une seule en breton, alors que deux autres versions bretonnes lui avait été expédiées, l'une en breton du Trégor, l'autre en vannetais.

Une traduction de la parabole en gallo n'a pas davantage été publiée. Elle a été conservée en même temps qu'une lettre sur le gallo provenant de Ploërmel. 

Notons en passant, pour l'anecdote, que le Préfet du Morbihan confond gallo et gallois : "quant au patois français connu sous le nom de gallau ou gallois, qui se parle dans quelques parties de ce département, j'ai trouvé encore plus d'obstacles à obtenir quelque ouvrage qui le fasse connaître (…). On m'a procuré une tragédie manuscrite en mauvais français, c'est une œuvre si insipide et si peu relative au véritable idiome gallois que je pense qu'elle ne serait d'aucun usage". (Lettre du 17 septembre 1808). Aujourd'hui, les spécialistes du gallo regretteront sans doute…

 

[6] Coquebert reprend cette donnée sur la fiche qu'il consacre à la Loire-Inférieure, ajoutant : "voilà ce que  les commis de la Préfecture de Nantes ont dit à Candolle".

[7] Bibliothèque Nationale, feuillet 229-230.

[8] Ms Monbret 721. Dossier : "Recueil de linguistique." Liasse de notes intitulée : "limites du français et du bas-breton", ff 219 à 232. Nous exprimons nos remerciements à la Bibliothèque municipale de Rouen pour avoir bien voulu nous adresser des photocopies des notes de Coquebert.

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